Les attentats du Bardo, de Sousse et plus largement dans le monde, questionnent sur le vivre ensemble. La transition postrévolutionnaire dans laquelle est engagée la Tunisie tend à démontrer que des fortes tensions menacent la stabilité du processus de démocratisation. La jeunesse tunisienne de régions intérieures est laissée en marge du progrès créant autant d’appels d’air à la radicalisation, faute d’avenir meilleur. Conjuguée au chômage, qui s’élevait en moyenne en 2016 à 15,6 % au sein de la population active et 23,1 % chez les femmes, cette situation explique le nombre de départs massifs de jeunes au sein de l’organisation terroriste Daesh.

Fort de son expérience et de son engagement en faveur de la jeunesse, Ness El Fen a élaboré en 2016 « El Fabrica, un passeport pour la vie » pour contrer le développement de Daesh qui « propose un passeport pour la mort ». L’ambition est de redonner une dignité, de l’espoir et un socle éducatif à ces jeunes filles et jeunes garçons déscolarisés, demandeurs d’emplois ou salariés précaires afin de les éloigner de la déliquescence et des extrémismes religieux. Pendant 6 mois, Ness El Fen a ainsi expérimenté un dispositif de création artistique. Après avoir auditionné plus de 1000 danseurs, 10 jeunes dans 10 régions du sud du pays ont été sélectionnés et ont bénéficié d’ateliers de pratique artistique. L’objectif était de faire travailler ces 100 jeunes sur le rapport au corps (rapport avec soi-même et au monde), leurs rapports aux autres (place de la mixité) afin de les émanciper de leur déterminisme social.

Par son immersion dans le monde de la danse, le jeune acquiert ainsi des valeurs, des savoir être et des savoir-faire propres au monde du travail : le respect des horaires et des délais, le travail en équipe, autant d’atouts indispensables à maitriser pour entrer de plain-pied dans la vie active. Le projet artistique permet également d’appréhender la réalité de secteur d’activité qu’est le spectacle vivant : la technique (aménagements du plateau…), l’administratif (la circulation des compagnies…) et bien sur l’artistique.

Le projet permet également aux jeunes d’un même groupe de se rencontrer, d’échanger, et d’apprendre à créer ensemble, au-delà de leurs différences. Il contribue ainsi à l’ouverture des jeunes au monde qui les entoure et permet de les sortir de leur enfermement : d’abord à l’échelle du groupe, puis dans leur région, en tant « qu’ambassadeur » auprès d’autres jeunes. Ces 10 groupes ont travaillé chacun en autonomie pendant 6 mois : les plus assidus se sont rendus à Tunis en mai 2016 pour présenter et confronter leur travail face à un vrai public lors de « Tunis Capitale de la Danse » où des prix leurs ont été remis. A travers la pratique de pièces chorégraphiques étrangères, un dialogue interculturel s’est initié, notamment avec les danseurs ou chorégraphes venus spécialement en Tunisie. Ces jeunes ont pu retrouver confiance en eux et dans leurs propres capacités d’action : ils ont à leur tour organisé un festival, créer un studio de danse ou de musique.

Fabrica à Tunis Capitale de la Danse 2016 from EDAC Tunisie on Vimeo.

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